15.11.14

Syndrome de Stockholm, ou pleurer de perdre son bourreau de jardin

Il y a sept ans, j'ai voulu offrir une compagne à ma Ginger bien aimée. Des voisins m'ayant à plusieurs reprises proposé un poussin, je saisis enfin ma chance et allai chercher une nouvelle amie dans le poulailler voisin. Mais finalement ce n'était pas une compagne mais un compagnon que je ramenai à Gin'. Et j'apportai par la même occasion un terrible fléau à la maison : Noah, la terreur des jardins.


Les premières semaines se sont passées sans heurts. Le poussin s'est très vite apprivoisé, j'ai repris mon rôle de mère-poule avec tout le bonheur du monde (ces oiseaux qui vous prennent pour leur mère, c'est un régal ; ça vous suit partout, ça quémande câlin sur câlin, ça gazouille sans arrêt, ça se manipule dans tous les sens, ça s'installe sur les guidons de vélo, sur les épaules, et ça vient s'endormir dans le creux de votre cou). 


Ginger s'est très bien habituée à lui, ils sont devenus inséparables. Mais alors est arrivée la rupture qui a tout massacré. Je suis partie en vacances pendant une semaine dans les Landes, les laissant seuls dans leur cage, nourris et abreuvés tous les jours par une voisine à qui j'aurais dû demander de manipuler le poussin, de le sortir et lui parler.
Quand je suis rentrée, Ginger était la même (évidemment, ça faisait plus de deux ans qu'elle était ma fidèle poule), mais Noah m'avait oublié ; je lui faisais peur quand j'approchais, il ne reconnaissait plus ma voix et maintenant qu'il était habitué à la poule, il n'allait pas retrouver en moi de figure maternelle, tout au plus un vague humain qui allait lui donner du grain.
J'étais triste, je perdais mon poussin ; mais j'avais encore de l'espoir, il restait très jeune et encore aisément éducable voire dressable !


Mais mes parents m'ont traînée en Bretagne pour une nouvelle semaine de vacances.
En revenant c'était fichu. Noah avait beaucoup grandi. Il s'était bien musclé. Ça devenait un véritable coq. Il commençait à faire de Ginger sa poule et non plus sa mère de substitution, il la cloîtrait et l'empêchait de plus en plus de s'approcher de moi. Et surtout, il avait peur. Peur des humains. Ce que je n'ai jamais compris.


A partir de là, tout n'était plus que conflit. Il venait essayer de nous intimider dès qu'on sortait dans le jardin. Et plus ça allait plus ça dégénérait. Après la mort de Ginger, trois ans après, il n'était plus que violence. Postures de combat et coups d'ergots. Je me suis plusieurs fois retrouvée à pleurer nos affrontements, non pas à cause des ecchymoses qui me tartinaient les jambes mais pour les bouts d'ergots arrachés durant la baston, les becs déboités, les ailes mal remises... jamais rien de sévère pour lui, mais toujours un crève-cœur d'avoir blessé son poussin vilain. Bizarrement, les gens n'ont pas compris pourquoi je n'ai pas tenu rigueur à Noah de m'avoir attaqué au visage un jour, en sautant sur moi depuis le rebord de la fenêtre ; certes il m'a bien balafré le menton et les coups d'ergots dans les joues et la nuque, c'est sûr c'est désagréable ; mais contrairement à autrui, j'ai pris ça comme une juste vengeance pour les coups de pieds que je lui avais mis alors que je ne parvenais plus à me contrôler. Quand on vous roue de coups chaque jour simplement parce que vous sortez de votre maison, le matin où vous êtes de mauvaise humeur et qu'au lieu de fuir vous engagez le combat, ça peut vite dégénérer et prendre une ampleur inconsidérée.
Malgré toute cette colère et cette frustration, je n'ai jamais réussi à le tuer. Plusieurs fois je me suis demandé si je n'allais pas demander à un voisin de tordre le cou à Noah, comme ça, rapidement, sans douleur, juste pour en être débarrassée. Mais en approfondissant un tant soit peu la réflexion, ça s'avérait juste impossible. Tuer mon marmot ? Aussi mauvais soit-il ? Plutôt mourir moi-même.


Pour le dédouaner, j'ai toujours mis sa colère sur le compte de la solitude et de la douleur. Une fois Ginger morte, il s'est retrouvé seul au monde. Il recherchait la présence des humains, toujours collé aux fenêtres pour nous observer, toujours à nous poursuivre dans le jardin, mais il ne savait pas comment tout ça fonctionnait. Il n'a pas compris, en 7 ans, qu'on pouvait être amis, que je ne demandais que ça. Tout ça parce que je suis partie en vacances cet été de 2007. Quel gâchis que de n'avoir pas su rattraper ça.


Et la semaine dernière, j'ai retrouvé Noah comme il est ci-dessus : faible, doux, cherchant la tendresse et non plus la bataille. Mourant. Après toutes ces ruades, toute cette violence, il est parti comme il est arrivé : aimant. Malgré la difficulté de la chose, je suis heureuse d'avoir pu le tenir dans mes bras de longs instants, d'avoir pu de nouveau lui souffler de l'air chaud dans les plumes et sentir son odeur de farine, heureuse qu'il ait pu retrouver l'amitié de l'humain le temps de ses deux derniers jours. Oui, encore un éclat en plein cœur, j'ai encore perdu quelqu'un qui m'était cher malgré tout.


Vous me comprendrez j'espère si je vous dis que parfois je perds complètement espoir de voir mes fils venir tous les deux au monde et en bonne santé ; si la vie me semble tenir du mirage et de l'utopie candide.

9 commentaires:

  1. Je suis désolée pour le petit coq ! J'ai vu sur FB un statut à ce sujet mais je n'ai osé commenter (surtout parce que je passe trop peu de temps sur cette plateforme) mais je viens ici te réaffirmer mon soutien.

    C'est dommage qu'il n'ait pas pu vivre de manière plus tranquille, mais te blâmer ne sert pas à grand chose. Qui plus est, sept ans c'est plutôt correct pour lui (même si j'avoue ce n'est jamais facile de voir partir ses animaux adorés), alors ne t'en veux pas trop, et ne te fais pas trop de soucis pour tes enfants ! ♥

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sept ans de gale des pattes et de méchancetés constante, c'était trop, même pour lui ; quand il a senti son heure venir il ne s'est pas acharné...

      Supprimer
  2. Oh Tristelune ! Je sais pas pourquoi je m'étais mise en tete que Noah était déjà mort... Du coup j'me retrouve bete à pas savoir quoi te dire :(
    Ca fait beaucoup de perte...

    Et je comprends mais t'inquiète pas, ça sera une belle vengeance de la vie que de tenir tes deux fils dans les bras... ♥

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'espère bien ! Et puis je ne t'en veux pas de l'avoir cru mort, je ne donnais jamais de nouvelles de lui ; je le voyais rarement et je n'avais rien d'autre à écrire sur lui que faire le décompte de mes ecchymoses...

      Supprimer
    2. J'ai bien lu ton commentaire sous l'article des photos en noir et blanc, directement sur ma boîte mail, mais il n'apparaît pas sur mon blog (en tout cas j'arrive pas à le lire), j'ai pas compris...

      Supprimer
  3. Bah mince alors... Effectivement je le vois plus non plus ! :(
    Mais bon le principal c'est que tu l'aies eu ^^

    RépondreSupprimer
  4. Tout d'abord désolé pour ton petit coq, encore une séparation, un départ... un bout de soi qui part avec lui. J'admire l'amour que tu avais pour lui et aussi ta grande compréhension malgré le fait que tu étais devenu à ses yeux une "méchante humaine" et qu'il semblait si en colère. Au moins pour ses dernières heures tu as pu le retrouver si je puis dire, il est parti et c'est douloureux alors je suis contente que jusqu'à la fin il ne soit pas rester contre toi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne suis pas rancunière, pas le moins du monde, alors je n'aurais pas pu considérer notre relation autrement. Mais déjà quelques jours après sa mort, tout ce qui reste de dépit et de mauvais souvenirs devient nostalgie. Ce matin je suis sortie dans le jardin, et je me suis sentie étonnamment seule ; pas de vilain oiseau aux ergots acérés pour me charger avec la collerette relevée... triste.

      Supprimer