29.1.15

Hippolyte et Lancelin


Il y a presque deux semaines, nos fils sont nés.
Hippolyte, Prince Triton, pesait 975 grammes et Lancelin, Sire Crapaud, en pesait 2030. Des jumeaux prématurés avec une différence de plus d'un kilo sur la balance : mes gamins.

J'ai commencé cet article par un roman d'une quinzaine de paragraphes racontant toute l'histoire : hospitalisation, césarienne, rétablissement. Mais j'ai tout effacé. Je n'ai en fait absolument pas envie de parler de ça. De moi, de l'attente, de la trouille, de l'opération, des douleurs. Je voudrais juste parler de mes fils.

Ces deux petits garçons qui vont encore passer un à deux mois dans des boîtes en plastique à l'hôpital pour enfants, qui vont y grandir, y être soignés jour et nuit et où on va les voir quotidiennement avec leur père.

Sire Crapaud est grand. Un joli môme tout en longueur. Chevelu, très légèrement joufflu, avec des postures et des mimiques amusantes.
Prince Triton est minuscule. Une petite créature aux côtes apparentes, branchée de partout, déformée par le masque qui l'aide à respirer (sans ajout d'oxygène). Un enfant déshumanisé par tout cet attirail qui l'aide à grandir.

Si c'est avec joie que je change les couches du Crapaud, lui donne le sein (en mode "plaisir", pour qu'il apprenne, vu qu'il est nourri par une sonde – bien qu'avec mon propre lait), le câline et l'observe des heures durant.
C'est avec tristesse que je regarde le Triton dormir dans sa couveuse ; avec le regret de n'avoir pu le porter qu'une fois contre moi (il est désormais porteur d'un virus respiratoire nous empêchant de le sortir de l'incubateur) ; c'est avec appréhension que je fais ses soins, avec la peur de lui faire mal à chaque contact. Si je ne crains absolument pas pour sa survie (ce petit est un battant, depuis le stade embryonnaire il nous le fait comprendre), je m'inquiète pour lui. Quelle est cette vie qu'il mène ? Il est tel un très grand prématuré, branché de partout à plein de machines, de poches et seringues de produits que je n'identifie même pas. Il est dans cette boîte jour et nuit, et sa mère a peur de le toucher.
 
Oui, j'avoue, je suis complètement déprimée. Et c'est même pas un baby blues. Les journées sont épuisantes depuis la naissance des garçons, tant physiquement que moralement. Je ne suis pas capable de donner au fils de mes rêves un dixième de l’affection qu'il mériterait ; mon Hippolyte tant désiré que j'ai peur d'approcher à cause de tous ces branchements et de son extrême fragilité. Et chaque soir je rentre les bras vides, laissant même Lancelin là-bas, lui qui paraît déjà si grand et si capable. Tout en sachant que cette situation va se prolonger, se prolonger... Ils n'ont même pas deux semaines et je ne pourrai sûrement pas les récupérer avant qu'ils aient deux mois.
Je me sentais plus mère lorsqu'ils étaient dans mon ventre. Maintenant je me sens simplement vide. Et je vais voir deux petits garçons tous les après-midi à l'hôpital. Je suis maman moins de six heures par jour. Le reste du temps je tire mon lait toutes les trois à quatre heures, jour et nuit, parce que c'est la seule chose que je puisse faire pour eux ; même si ça m'épuise de me faire traire par une machine qui fait mal. Leur chambre est un débarras, encore pire qu'avant étant donné qu'on nous a fait plein de dons de vêtements et d'objets pendant mon hospitalisation et qu'on n'a pas le temps de trier, ranger, et encore moins de décorer. Ichabod devient neurasthénique parce que je ne prends pas le temps de m'occuper de lui depuis mon retour. Et voila plus de deux semaines que je n'ai pas vu un film, plus d'une semaine que je n'ai pas lu une page...
Il n'y a pas que le manque de temps et la fatigue. Il y a la non-envie. Le désintérêt partiel voire total de certaines choses qui pouvaient m'enthousiasmer avant. C'est fou comme la vie peut changer du jour au lendemain. Après sept mois de grossesse, de doutes mais d'espoir, se retrouver comme ça (après une opération que je qualifierai quand même de traumatisante), vide : c'est dur.
Le pire c'est que je n'ai absolument pas la volonté de changer ça, je suis persuadée de ne pas en avoir la force, alors je ne ferai rien. Je vais faire tout ce qu'il me reste à faire. Attendre.

Tout ce que je veux, ce sont mes fils.

18 commentaires:

  1. Je t'envoie beaucoup de courage! J'espère que petit Triton va vite se remettre & que votre vie va pouvoir continuer, à 4, tous réunis :)
    Et félicitations (en espérant que ce ne soit pas déplacé)
    <3

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    1. Merci :)
      Et non, ton "félicitations" n'est pas déplacé, il est juste incongru, comme tous les autres que je reçois. Après tout je n'ai rien fait de spécial, je n'ai même pas accouché pour de vrai, et mes fils ne sont même pas terminés. Je n'ai juste pas l'impression de mériter du tout de félicitations...

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  2. Un virus respiratoire, ça rigole pas :(
    J'espère que la croissance d'Hippolyte va bientôt et bien commencer et que son système immunitaire prendra le relais :( C'est vrai que la plupart du temps on entend parler de l'accomplissement d'être mère parce qu'elle a son ou ses petits dans les bras, mais toi t'as même pas ce privilège :( Sois patiente, tiens bon, va, on a de bons médecins en France, ils vont bien te les préparer à la grande aventure de la vie ♥

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    1. Sa croissance a correctement démarré : il est nourri par son cathéter et il reçoit du lait de maman pasteurisé (en attendant que le mien le soit) pour entraîner son système digestif à fonctionner. L'aide respiratoire c'est pour l'aider à ne pas trop utiliser ses ressources en s'acharnant à respirer correctement, et plutôt à prendre du poids. Du coup il y a des jours où il prend jusqu'à 45g. C'est pas encore flagrant mais il prend de jour en jour.
      Mais c'est vrai que je fais confiance à l'équipe de médecins et infirmières puéricultrices qui s'occupent d'eux. Heureusement d'ailleurs, sinon je serais au fond du gouffre.

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  3. C'est passé si vite ! Il y a quelques jours j'étais passée sur ton hellocoton pour voir si je n'avais pas manqué des nouvelles, et ils étaient déjà "parmi nous".
    C'est dur ce que tu écris, tu mérites ces félicitations, tu les as protégés, amenés à la vie, pendant ces mois de grossesse, et même si aujourd'hui ils sont confiés aux médecins ce n'est pas une faute de ta part, ta présence et celle de ton compagnon même si c'est peu d'heures par jour doit compter pour ces petits, le lien ne se rompt pas.
    Bon courage pour ces prochaines semaines, je vous souhaite le meilleur :)

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    1. Merci. C'est vrai que c'est allé très vite. Bien trop vite d'ailleurs. C'était tellement chouette d'être enceinte en fait, et ç'aurait été tellement bénéfique pour eux que la situation se prolonge encore et encore...

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  4. c'est les larmes au yeux que je lis sa... Plein de courage à vous deux vous allez y arriver vos petite bouille seront bientôt prêt de vous..
    Jessica

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    1. Yep, du courage, du courage. Y a des jours ça va, mais y a des jours j'en manque sacrément. Merci pour ton message, ça m'en donnera un peu pour les jours à venir (du courage ^^)

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  5. Tu te souviens ce que je te disais il y a... quelques années de ça ? Que le temps et la patience seraient tes meilleurs amis ? Et ça a marché, pas vrai.
    Alors je sais, c'est encore une épreuve mais tu es forte. Toi aussi tu nous l'as déjà montré ;) Et puis tu n'es pas seule. Ces bébés, tu as toute ta vie pour leur donner ton amour. Et mère tu l'es 24h sur 24 ma belle.
    Je t'envoie tout le courage qu'il te faut pour tout ça.

    Ils ne le savent pas encore, mais ils ont des parents formidables.

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    1. Oui, Kyra, je me rappelle bien, c'était il y a plus de trois ans maintenant. Mais à chaque fois qu'on tombe dans une de ces périodes où tout n'est qu'une question de patience et de courage d'attendre le temps qu'il faut, il est toujours aussi difficile de vivre le quotidien. Ceci dit, tu as raison, et je le sais. A part que je ne sois pas encore sûre qu'on soit des parents formidables XD (pour l'instant on fait de notre mieux, mais ça peut se gâter après ^^)

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  6. Quel émotion en lisant ton article, je t'envoi ainsi qu'à Hippolyte et Lancelin plein d'ondes positives. Tes fils sont forts, les débuts sont un peu difficiles mais je souhaite de tout coeur que le temps s'écoule vite et arrive le jour de bonheur où ils rentreront à la maison. Si tu as besoin de parler n'hésite pas, si tu as besoin je te donne mon numéro/facebook ou mail ou que sais-je sans hésiter.

    Je t'embrasse fort.

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    1. Merci pour tes mots et ta présence :)
      C'est très gentil de me soutenir de la sorte ; mais bien que j'ai réussi à trouver le temps de pondre un article, je suis tellement surbookée en ce moment que je ne trouverais jamais le temps d'échanger au sujet des garçons, quand bien même ça pourrait me délivrer d'un peu de peine.

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  7. Chère petite Laura,
    Bien sûr que tu les mérites ces félicitations, ce doit être très difficile à vivre ce qui t'arrive et il faut certainement énormément de courage pour ne pas déprimer! Que tu ne te sentes pas mère est bien légitime mais ça ce fera petit à petit au fur et à mesure que tes petits bout de chou vont grandir et tu te sentiras complètement mère quand ils rentreront chez vous. En attendant il faut avancer et garder essayer de garder le moral pour eux et pour vous deux.
    Je vous souhaite d'être vite réunis. Bisou, Jocelyne.

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    1. Merci beaucoup pour ce gentil message, très chère Yothe :)
      La conversation de tout à l'heure avec les médecins m'a quelque peu redonné courage : Lancelin ne va pas tarder à passer en "lit" (donc à quitter la couveuse, malgré une grande surveillance) et il rentrera à la maison quand il en sera capable et non pas seulement quand son frère le sera aussi (ça va être compliqué pour aller à l'hôpital mais ça va se faire). En attendant je vais passer un maximum de temps à l'hôpital et leur donner tout l'amour possible, même si ces journées sont très usantes.

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  8. Mh... pour reprendre ta réponse au tout premier commentaire: "félicitations" te semble incongru parce que tu as l'impression de n'avoir "même pas accouché" et que tu n'as pas "terminé" tes enfants, et donc tu ne mérites pas qu'on te félicite?...
    Alors, ma p'tite Tristy, écoute-moi bien (tata Serpe est pas contente) tu vas te fourrer quelque chose dans le crane tout de suite: SI, TU MÉRITES QU'ON TE FÉLICITE!!! Et même plus que les autres mamans qui ont leur bébé tout rose et tout joufflu et pour qui tout se passe bien! Tu te rends compte de ce que tu traverses en ne flanchant pas (allez, je te le fais à "un peu")? Comme c'est dur et comme tu tiens bon? Mais punaise, mais moi je suis tellement admirative!!! :)
    Ne pense pas que tu abandonnes tes mouflets parce que tu ne peux pas les tenir contre toi, pense au contraire que tu fais ce qu'il y a de mieux pour eux, et de ça, tu peux en être hyper fière!
    Et puis, 45g, ça a l'air de rien, mais si tu rapportes au poids de départ, il grossit à vive allure!
    Allez, je pense fort à toi et toute ta tribu de battants, et je te félicite ;)

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    1. Cimer tata Serpe, tu sais remonter le moral des troupes en les engueulant ;)
      Depuis l'autre jour il y a eu pas mal d'avancées positives pour les garçons alors quotidiennement mon moral s'améliore.
      T'as raison de parler de tribu, en ce moment c'est véritablement la lutte familiale : entre les petits qui se battent pour grandir à l'hôpital, leur père qui commence un nouveau travail qui ne lui permettra de ne les voir qu'une heure (voire deux) par jour, et moi avec mes seins de vache laitière et mon moral de pépette... On a bien intérêt à se serrer les coudes dans la tribu !

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