31.8.14

Je voulais un petit frère


Et je crois que tout part de là. Mes parents ont entrepris un autre parcours de PMA (procréation médicalement assistée) pour m'en "fabriquer" un, mais malgré plusieurs essais dont des FIV (fécondations in vitro), la graine n'a pas pris, c'était au tour de ma mère de ne plus être fertile. Du haut de mes deux ou trois ans, je n'avais pas conscience de tout ça, seulement du fait que je resterais seule et qu'il me fallait l'inventer, ce petit frère.
Il était dans la plupart de mes jeux quand j'étais petite. Puis, plus grande, c'est d'un grand-frère que j'aurais eu besoin, je le rêvais tout aussi bien que le petit ; lui aussi il s'appelait Nils. Pour partager mon délire avec mes copines, du collège au lycée, je me suis inventé un cousin extraordinaire : inutile de dire que mes bobards étaient démesurés et que je salue la confiance des copines qui y ont cru, et la gentillesse de celles qui n'y croyaient pas mais faisaient semblant. Quand tout le monde autour de toi a des frangins et des frangines, au moment de rentrer à la maison, tu te sens particulièrement seule au monde.

J'ai entretenu comme ça une fascination pour le genre masculin ; jamais je n'ai eu à l'idée d'avoir une sœur. Quelle déception ça aurait été si mes parents m'avait pondu une petite Célia, ou Laëtitia... Bien évidemment j'aurais fait avec, et nul doute que je l'aurais aimé comme une sœur, mais même si le vide aurait alors été partiellement comblé il aurait toujours manqué Nils à l'appel.
Mon orientation sexuelle a dû se fonder là-dessus aussi : si à l'école je côtoyais une sacrée bande d'abrutis (rendant les exceptions d'autant plus séduisantes), je n'ai jamais eu aucun doute sur ma préférence. Les garçons étaient fascinants ; c'était l'inconnu, le mystère. Ça avait l'air tellement bien d'être un garçon que j'aurais bien troqué mon statut de fille contre celui de garçon... j'aurais viré homosexuel par contre. Être de sexe masculin, d'accord ; aimer les filles, que dalle.

Alors bien sûr j'étais amoureuse des garçons, mais je faisais dans le contemplatif. De la classe de cinquième à celle de première, seulement deux garçons, deux inconnus que jamais je n'ai abordés, auxquels je n'ai pas adressé un mot, que je ne pouvais qu'observer sans même pouvoir imaginer quoique ce soit : aujourd'hui encore, si je croise l'un ou l'autre, l'effet serait le même que de croiser une star de cinéma adulée. Alors pendant une longue période je voyais mon avenir en célibataire, allant vers une vie de vétérinaire entourée de bestioles dans une ferme à la campagne... mais vétérinaire c'était trop dur, il aurait fallu trouver autre chose.
Le seul point fixe que j'ai fini par trouver, c'était mon fils. A treize ans j'ai découvert Charles Baudelaire et ses poèmes, notamment Delphine et Hippolyte, merci Damien Saez et l'Ébauche n°2. Et merci Dedou pour la découverte. Il y a des gens comme ça, sans qui la vie n'aurait pas pris le même tournant.


Dans le poème, Hippolyte est une fille, je dirais bien une femme mais l'accent est justement mis sur ce passage d'un statut à l'autre. Cependant, il suffit de demander à un professeur de français qui est réellement Hippolyte pour apprendre que c'est un personnage mythologique au destin sublimement dramatique. Il ne s'est pas fallu de grand chose pour que je tombe amoureuse du prénom, de sa sonorité, de son origine... A cette époque, je notais les prénoms que j'aimais sur une liste destinée à des personnages de nouvelles, de romans, que je n'écrirai jamais. Hippolyte n'a pas figuré dessus, c'était plus que ça. Vous allez dire que j'en fais des tonnes mais j'ai ce prénom dans les tripes. Depuis plus de dix ans maintenant. Depuis plus de dix ans, mon fils s'appelle Hippolyte ; il n'avait pas de père pourtant il était déjà là.

Vous imaginez donc que ça devient difficile de rêver une vie sans enfant quand votre fils a déjà un nom.

Passée la période où je partageais l'avis de toutes ces blogueuses qui revendiquent ne pas vouloir d'enfants, et exposant leurs raisons ; m'inquiétant pour la douleur qu'on peut ressentir, de la galère de se retrouver avec un nouveau-né, l'épisiotomie, les couches, les tétons défoncés par l'allaitement et les nuits massacrées... J'ai finalement eu le déclic. Bien que je conçoive que d'autres n'en veuillent pas, voilà un moment que je ne peux plus envisager l'avenir sans rejetons.
Avec mon premier amour, un enfant faisait partie des projets futurs, et ça ne me faisait plus peur. Hippolyte verrait peut-être le jour, finalement. Mais si ça ne s'est pas fait, j'ai quand même gardé mon petit garçon dans un coin de la tête, quitte à ne jamais l'avoir et continuer de le rêver éternellement.

Puis avec Qwenn on a rapidement dû se rendre à l'évidence. On allait passer un bon moment ensemble, faudrait bien faire des projets. Tout s'est passé si vite, tout a été si simple entre nous. Si bien que vite et simplement on a commencé à concrétiser des projets à peine ébauchés.
Maintenant je ne rêve plus. Il y a deux créatures qui poussent dans mon ventre : peut-être Hippolyte, ou ses sœurs. On saura probablement ça quand nous parviendront les résultats des caryotypes, nous dévoilant si il y a un problème génétique chez l'un ou l'autre, et nous présentant au passage leurs chromosomes XX ou XY. Si toutefois on accepte de faire la ponction pour l'amniocentèse après-demain matin.
 

10 commentaires:

  1. Je ne peux pas me figurer ce que c'est, d'être enfant unique, mais à te lire, ça ne doit pas être facile tous les jours. Pour ma part j'ai eu la chance d'avoir une soeur avec qui je suis extrêmement proche et j'ai du mal à concevoir ma vie sans elle.

    J'espère VRAIMENT que tout va bien se passer pour futur-Hippolyte et/ou ses soeurs. J'aime bien ce prénom, en fait je ne peux que l'aimer vu ma passion pour les mythes grecs. J'aime bien le fait que ça soit un nom mixte, et d'amazone en plus.

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    1. Oui, c'est un prénom plein de sens, tant chez les filles que les garçons. Même si je ne conçois pas appeler ma fille comme ça.
      Je n'arrive pas non plus à me figurer ce que ça fait que d'avoir frère ou sœur, je n'ai toujours pu qu'en entendre parler, le voir chez les autres (mais jamais dans l'intimité), et l'imaginer. Il y a des jours où j'ai cru comprendre que c'était pas évident d'avoir des frangins ceci dit !

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  2. J'ai été entourée de frères et soeurs, donc je ne sais pas ce que c'est que d'être enfant unique. Je ne voulais pas d'enfants, j'avais du mal à les supporter pour tout dire. A cette époque je crois que je rejetai cela car j'étais convaincue que je finirait seule puis que le garçon que j'aimais depuis des années ne n'aimait pas. Alors, j'ai rencontrée mon amour actuel sur internet et puis lorsqu'il m'a vu quelques instants plus tard il a posé sa main sur mon abdomen et m'a dit que je porterai ses enfants... et depuis j'ai eu envie d'avoir des enfants. C'est presque dingue. J'espère un jour pouvoir fonder avec lui une douce famille.

    J'ai hâte de savoir si ça sera bon pour Hippolyte ou ses grandes soeurs :)

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    1. C'est fou en effet comme le déclic peut arriver chez certaines personnes. Ton histoire est très jolie en tout cas ! Et j'espère que tout ira comme vous l'imaginez peut-être déjà.

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  3. Personnellement j'ai eu le confort incroyable (haha, lol -_-) d'être le dernier de trois enfants. Ma mère préférait clairement mon frère, de 6 ans mon aîné et qui n'était pas le fils de son mari, mon paternel préférait ma sœur, et moi je me sentais abandonné, ce qui a eu deux effets successifs. A un moment de ma vie je faisais tout pour faire la fierté paternelle, puis quand ma personnalité s'est éveillée (à l'adolescence, haha), j'ai arrêté pour devenir l'embryon de personnage individualiste et cynique que je suis maintenant.

    Bref, y'a toujours eu une grande distance avec mon frère et ma sœur, ce qui m'a sûrement poussé à combler ces manques. Bien sûr, Plume, Elika et Yume remplaceront jamais ma sœur, mais j'ai ce genre de relation avec elles, on est proches, on se connaît, on s'inspire mutuellement, et j'adore ça. Je peux comprendre en partie ce que tu as vécu, pour l'avoir connu à un niveau moindre, et j'espère, je pense, que tu as des amis très proches que tu dois pouvoir considérer comme ta famille. Sinon, tu as des amis standards, je pense m'inclure dedans et on t'aime hein ;) ♥

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    1. Oui, j'ai longtemps eu la chance (et je l'ai encore un peu maintenant même si on s'est beaucoup éloignées) d'avoir des amies proches qui me servaient de sœurs au quotidien, avec qui on pouvait tout partager, rire de tout, faire des plans sur la comète ; mais le retour à la réalité le soir était d'autant plus difficile.
      La fraternité entraîne nécessairement une rivalité, qui chez toi a été trop poussée pour que tu puisses t'épanouir correctement, mais c'est aussi ça qui forge le caractère. On dit souvent que le dernier-né est la choucou et que l'enfant du milieu est délaissé ; mais dans ton cas, une fille entre deux garçons, ça implique un autre choucoutage !
      J'espère que Qwenn et moi ne commettrons jamais la même erreur que tes parents, bien qu'ils ne s'en soient peut-être pas rendus compte ou préféraient le nier.

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  4. Je suis l'aînée. J'ai un p'tit frère. Et sa naissance a été le chamboulement de tout. Ce n'est pas sa faute bien sûr, c'est celle des parents. Des parents qui ont pris un chemin bien étrange. Sa naissance a été le début de l'abandon & de la violence. J'ai peut-être eu un frère, mais j'ai été plus seule qu'une orpheline.
    Heureusement il y avait ma Grand-Mère. Heureusement il y a ma Seconde Famille, la "Vraie" (puisqu'on s'est choisi..). Heureusement il y a la Famille Paternelle, aussi.
    Ca ne remplace pas des parents. Mais enfin, je ne reviendrai pas en arrière pour changer les choses.

    J'espère qu'un petit Hippolyte grandit en Toi, avec un frère ou une soeur... Ou qu'il finira par pointer le bout de son nez, histoire d'agrandir la famille!
    J'te souhaite le meilleur :)

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    1. Ton histoire est bien triste... Les parents font mal les choses parfois ; et si on espère ne jamais faire les mêmes erreurs, on n'est jamais à l'abri.
      Tu as bien fait de trouver des alternatives à la famille parentale, même si je suis d'accord, rien ne la remplace ; d'autres se laissent aller et perdent prise trop tôt.
      Merci pour ton soutien en tout cas :)

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  5. Je trouve ça tellement beau et vrai et sincère ce que tu racontes.. J'en ai encore les larmes aux yeux. Décidément, que d'émotions sur ce nouveau blog...
    J'espère qu'Hippolyte ne sera pas que l'enfant revé. Au moins son prénom, il sera plus que sorti de ta chair..
    Je te souhaite de le fabriquer ce petit garçon et d'y prendre tout le plaisir qu'il faudra.

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    1. C'est sûr que si ce premier garçon ne fait pas partie de cette "couvée", il finira quand même par arriver : je ne meurs pas sans fils !

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